posté le 23-08-2007 à 14:52:53
Les Secrets d'Astérix, par René Goscinny
Quand j'ai entendu un de mes grands anciens me dire "Le métier de scénariste ? C'est à la portée du premier imbécile venu", j'ai compris que j'avais trouvé ma voie. Pour être scénariste, il suffit d'avoir quelques idées de-ci de-là, énormément de chance, un monstrueux culot, et de faire équipe avec un bon dessinateur. Je travaille avec beaucoup d'excellents dessinateurs, mais mon coéquipier, depuis des années et des années, c'est mon viel ami Uderzo. J'aime bien Uderzo ; c'est un copain, et il est capable de dessiner clairement et avec un talent n'importequoi, jusqu'à et y compris un combas de pieuvre dans de la gelée de groseille. J'ajoute, et ce n'est pas une de de ses moindres qualités, que son nez remue quand il est content. Moi, quand je suis content, je bégaie.
Uderzo vous explique, dans le dessin ci-joint (ndS : pas de chance, je l'ai pas^^) , comment se passe la recherche de l'idée pour un nouvel épisodede nos sénarii (on dit : un sénario, des Uderzii). Nous nous réunissons et nous terrorisons les gens qui nous entourent par onomatopées et nos mimiques violentes. Si cela se passe chez Uderzo, Ada, sa ravissante femme, et Sylvie, sa charmante petite fille, secouée de sanglots, se réfugient dans un placard, jusqu'à ce qu'un long hurlement de de joie leur signale que nous avons trouvé et que le danger immédiat est écarté. Le nez d'Uderzo remue, et moi je dis : "Alors, on... on... on y va ?"
Il ne reste plus qu'à y aller. Tandis qu'Uderzo réunit une documentation graphique volumique, moi je lis avec soin des livres fort doctes [...]. Après cela, je fais un long résumé de l'épisode, ou plutôt un synopsis (d'aucuns disent : une synopsis ; il paraît que c'est une erreur...). Ce synopsis, ou cette résumé, comme vous préférez, est assez copieux et divisé en paragraphes, chaque paragraphe représantant à peu près la valeur d'une page dessinée - une planche - de l'histoire.
[...]
Bien entendu, il faut éviter de demander au dessinateur de faire des dessins impossibles. Une fois, j'ai suggéré à Uderzo de traiter dans le détail un combat qui mettait aux prises deux tribues de Peaux-Rouges, sous les yeux stupéfaits de toute l'armée française réunie, qui, distraite, ne s'aperçoit pas qu'elle est elle-même talonnée par le gros d'une force ennemie, supérieure en nombre.
Le nez d'Uderzo s'est figé dans une attitude improbable, tandis qu'Ada et Sylvie plongeaient dans le placard pour n'en ressortir que plusieurs jours plus tard, une fois le dessin réalisé.
Le sénario est fait, le dessin exécuté, la planche imprimée et publié dans
Pilote, il nous faut maintenant attendre le jugement suprême : le vôtre. Et quand nous recevons une de ces lettres délirantes d'enthousiasme, du genre : "J'ai lu votre machin dans le journal. Ouais, pour cette fois-ci, ça va encore, j'ai même souri une fois..."
Alors le nez d'Uderzo se met à remuer victorieusement, fendant l'air à grand cercles majestueux, la porte du placard s'ouvre avec fracas, laissant le passage à Ada et Sylvie, pleurant de joie et de soulagement, pendant que je crie : "Allons prendre un v... v... v... une bière !"
Lire, Hors Série n°1
Un journaliste à Goscinny :
- Vous faites de la politique avec Astérix.
- Non, je fais le guignol pour faire rire les enfants et pour ceux qui ont le désir de le rester longtemps.
- Pas de faux-fuyants, vous faites de la politique. D'ailleurs, quelles sont vos idées politiques ?
- Lisez Astérix !